Redécider ses faiblesses
Cessez de vouloir être bon dans tous les domaines, et donc de n’être excellent nulle part. Découvrez votre 1% en choisissant aussi vos faiblesses !
Une des idées les plus innovantes et provocantes dans la connaissance de soi visant l’évolution professionnelle, et plus spécifiquement le plein usage de sa singularité, est de reconnaître, choisir et assumer avec fierté ses limites, voire faiblesses.
« Osez être mauvais ! Pour atteindre l’excellence, vous devez avoir l’immense courage de (vous) dire : si je veux vraiment être bon sur X et Y, je vais forcément être mauvais sur Z » est un témoignage tranchant de Frances Frei, la professeure qui m’a particulièrement marqué à Harvard.
Entrevoir le potentiel
Revenons au début de votre carrière lors de vos premiers entretiens d’embauche. Que répondiez- vous à la fameuse question « Quels sont vos défauts ? ». Si, comme beaucoup d’entre nous, vous avez botté en touche en lâchant un quelconque « trop perfectionniste peut-être », il est temps de prendre conscience du potentiel réel de cette interrogation, pour vous ainsi que son impact immédiat sur vos proches collaborateurs. Comment être prêt à répondre aux questions qui pourraient être embarrassantes pour d’autres avec un sourire complice, une assise étonnante et un savoir-faire unique ? En décidant avec lucidité quelle est votre singularité riche de ces faiblesses qui délimitent votre terrain de jeu privilégié.
Redécider la valeur de nos défauts
Mais avant de chercher à les identifier, redéfinissons ensemble la notion même. Souvent définie par opposition à une force, comme une faute, une erreur, une lacune, une faille, une imperfection ou ses nombreux synonymes, une faiblesse devient indispensable lorsqu’on la comprend, qu’il s’agisse de :
– une limite temporaire car on n’a pas encore appris à faire autrement. Et dans ce cas, à nous de l’étirer, voire la dépasser.
– une limite bien réelle et potentiellement handicapante, parfois libératrice aussi, à respecter alors scrupuleusement au risque de briser quelque chose en nous ; cela devient alors une caractéristique de notre personnalité qui nous garde en éveil et nous remet en contact avec nos qualités d’humilité, de réalisme et de vigilance autant que de puissance !
Cette faiblesse qui semble nous brider devient une frontière qui permet de se relier à soi-même et à l’autre.
Comment utiliser ses faiblesses ? En les choisissant !
Comment découvrir et utiliser pleinement vos faiblesses ? Par une prise de conscience qu’il est temps de se poser, pour se poser lucidement de bonnes questions :
– Où est-ce que je peux être dangereux pour moi et/ou mes proches ?
Choisir ses faiblesses, c’est d’abord choisir de les voir, les reconnaître et les apprivoiser en travaillant certaines qui ont du potentiel comme un sculpteur avec sa matière, et en acceptant celles que l’on ne peut ou ne veut changer, avec respect. Ne pas en prendre conscience peut se révéler dangereux, comme si vous déboitiez sur une autoroute bondée en oubliant de regarder dans les angles morts.
– Comment canaliser ou recadrer mes faiblesses ?
Lorsque vous serez en contact avec cette matière brute que sont vos faiblesses, à vous de distinguer ce qui peut se transformer et ce qui vous semble, jusqu’à preuve du contraire, « inné ». A vous de découvrir :
> les points forts qui permettent, non pas de faire disparaître vos zones d’ombre, mais de les dépasser
> les contextes dans lesquels vos faiblesses peuvent devenir une force
– Est-ce qu’en choisissant de ne plus nourrir une faiblesse, cela me permet de faire décoller certaines forces qui restaient prisonnières de la gravité ?
– Quelles sont les faiblesses que je choisis clairement de mettre en avant pour contraster avec mes forces ?
– Comment relier consciemment mes points forts et faibles, tels les atomes d’une molécule ayant de nouvelles propriétés ?
Comprendre ses faiblesses, au sens étymologique de « prendre avec soi », c’est apprécier avec justesse qu’il n’y a pas d’ombre dense sans lumière intense : les forces sont secrètement reliées aux faiblesses et c’est de cette alliance dans un environnement propice que nait votre singularité. Pénétrer ses zones d’ombre permet alors d’explorer un territoire dans lequel se cache des forces insoupçonnées.
– Qui dois-je inclure dans ma « garde rapprochée » pour m’équilibrer ?
« L’obstacle principal auquel se heurtent la plupart des dirigeants est la tentative d’être bon dans tous les domaines, et donc de n’être excellent nulle part… ils jouent des coudes sur toutes les dimensions de leur métier, en travaillant de plus en plus fort alors qu’ils devraient prendre conscience qu’ils n’ont pas besoin de faire « plus » mais surtout « avec ». Une fois que vous avez découvert puis décidé de vous appuyer sur vos forces, vous devez apprendre à travailler avec d’autres qui vont équilibrer vos faiblesses » est un conseil avisé de Frances Frei. D’ailleurs, de solides études statistiques EZI/MK ont démontré un lien fort entre performance économique et excellence des leaders, tout en soulignant une corrélation faible voire nulle lorsque les dirigeants sont « bons partout mais excellents nulle part ». Une fois la prise de conscience que l’on ne peut, et surtout que l’on ne doit pas tout faire, vient le moment de décider, là aussi au sens étymologique de « trancher », c’est à dire d’arbitrer l’allocation de ressources par définition limitées. L’excellence étant contextuelle,
> qu’est-ce que mes « clients » valorisent le plus et comment leur donner ?
> Où est ce que je désire mettre mon énergie ?
> Dans quel tissu relationnel mon défaut majeur peut-il se transformer par un duo ou trio réussi ? Travailler en équipe et déléguer, ce n’est pas seulement utiliser l’autre pour compenser vos faiblesses, mais bien lui permettre d’utiliser ses qualités au service du groupe, d’être reconnu pour ses aptitudes différenciantes, de libérer son énergie et de se/vous surprendre. Avec qui et comment est-ce que je décide de collaborer, qu’il s’agisse d’un collègue, partenaire ou client ?
Greg Le Roy ; publié sur Linkedin le 22 janvier 2021
Sources :
Article « To Offer Great Customer Service, Dare to Be Bad », Forbes, mars 2012 www.forbes.com/sites/forbesleadershipforum/2012/03/02/to-offer-great-customer-service-dare-to-be-bad
Article « The Four Things a Service Business Must Get Right », HBR, avril 2008, www.hbr.org/2008/04/the-four- things-a-service-business-must-get-right
Interview video : https://hbr.org/video/2212632769001/when-to-disappoint-your-customers
Programme Harvard & Stanford « Leading Change & Organizational Renewal » www.exed.hbs.edu/leading- change-organizational-renewal-virtual/
Etude « return on Leadership », notamment sur les Spiky Leaders, McKinsey & Egon Zehnder, février 2011 Article Challenges sur la découverte et l’expression de ses points forts, Greg Le Roy , 2013, www.challenges.fr/emploi/management/la-methode-du-golfeur-tiger-woods-appliquee-au-management_9922 et https://www.challenges.fr/emploi/management/les-managers-ont-tort-de-vouloir-corriger-nos-points-faibles_10597 Comprendre ce qu’il ne faut pas faire est aussi important que savoir quoi faire. Renoncez à la conviction que les faiblesses sont les meilleures zones de progrès et arrêtez de vous entraîner sur certains points faibles délibérément choisis.