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Assumer sa singularité face à la pression de conformité

Les salariés ont naturellement tendance à se conformer aux normes de leur entreprise. Pourtant, les différences et les points forts de chaque individu sont des atouts. Mais il n’est pas si simple de les mettre en avant. Explications.


Pour comprendre les effets des normes sur les individus, il faut d’abord s’intéresser à ce qui définit les personnes « hors-normes », et notamment à leurs points forts qui font la différence.
L’étude des sportifs d’exception démontre qu’ils peuvent ainsi devenir des sources d’inspiration :
–  dans le golf : les golfeurs d’exception (seuls Arnold Palmer, Jack Nicklaus et Tiger Woods ont remporté plus de 60 tournois PGA alors que la moyenne d’un golfeur professionnel oscille entre 0 et 1) ne se distinguent pas seulement par leurs capacités techniques mais surtout leur résilience et récupération après un coup extraordinairement mauvais … ou bon !
–  dans le basket : les joueurs d’exception dépassent les critères de taille : Michael Jordan avait été écarté de l’équipe de basket du lycée car trop petit (1m80 à l’époque malgré une détente sèche lui permettant déjà de « dunker ») tandis que Muggsy Bogues, le plus petit joueur de basket de la NBA du haut de son 1m59, était un extraordinaire meneur, bloquant régulièrement des géants de plus de 2m10 mètres durant ses quatorze années de carrière en qualité de joueur et entraîneur.
–  au marathon : quand les très bons coureurs se dissocient de la douleur par une préparation mentale pointue, les marathoniens d’exception s’y associent pleinement ; ils voient la douleur comme un formidable indicateur de performance leur signifiant quand il faut ralentir et quand il est possible d’accélérer.
–  au tennis : Raphael Nadal, tennisman d’exception, tant par ses résultats que son bras gauche dévastateur, est pourtant droitier à la ville ! Il décida durant son adolescence, marquée par des entraînements à deux mains, d’utiliser son bras le plus fort : le gauche.
–  dans le saut en hauteur : Dick Fosburry, s’il n’en fut pas l’inventeur, popularisa le saut de dos aux jeux olympiques de 1968. Il gagna la médaille d’or, instaurant un nouveau record olympique (2m24) avec beaucoup de facilité apparente (il fut le seul à réussir ses sauts du 1er coup jusque 2m22) et une nouvelle pratique (le Fosburry-flop est la technique la plus utilisée depuis) … après que son saut ait été initialement refusé, puis accepté car n’ayant finalement enfreint aucun règlement !

La norme, de la peur à la douleur

Or, mettre en œuvre ses points forts et exposer sa différence n’est pas aussi évident qu’il y paraît, en particulier en entreprise. Nous dépendons en effet des autres pour notre survie émotionnelle et psychologique, et sommes donc prêts à faire beaucoup pour être accepté et appartenir à un groupe. Ce besoin de conformisme est dicté par la peur d’être remarqué, critiqué, voire ridiculisé ou exclu. Cette peur d’être seul contre le groupe (et ce dès 3 personnes), d’avoir un avis différent de la majorité et d’être rejeté est très forte.

Les neurosciences sont venues compléter les recherches en psychologie sociale initiées dès les années 1960 en prouvant récemment que le sentiment d’être exclu provoque le même type de réaction dans le cerveau que celle causée par une douleur physique. Le fait de se sentir trahi ou non reconnu déclenche dans le cerveau un influx nerveux aussi puissant et douloureux qu’un violent coup à la tête.

Le cerveau humain est un organe social. Bien que le travail soit souvent considéré comme une transaction purement économique, dans laquelle les personnes échangent leur travail contre une rémunération, le cerveau vit l’environnement professionnel avant tout comme un système social.


Dépasser la peur d’être « hors-normes » et devenir… « extra-ordinaire »

Tout concourt à ce que nous privilégiions la conformité du groupe à la découverte et l’expression de notre singularité, jusqu’à notre langage :
–  « se mettre en avant » vient du latin « prostituare »
–  « hors-norme » peut se comprendre à la fois comme « a-normal » ou « extra-ordinaire »

Il est pourtant plus utile de trouver comment nos différences à valeur ajoutée peuvent bénéficier au groupe, et transformer la quête de performance – être le meilleur par rapport aux autres – en recherche d’excellence – donner le meilleur de soi-même au service des autres.

Ce que les meilleurs managers font de différent
Les meilleurs managers ont conscience de ces inévitables pressions au conformisme et ont compris qu’elles peuvent être délibérément utilisées. En effet, une minorité peut être influente si ses membres expriment la même opinion avec assurance et constance, et ainsi imposer progressivement ce qui deviendra la nouvelle norme au sein de l’entreprise.

Greg Le Roy

Sources :
–  article « La méthode Tiger Woods appliquée au management » de Grégory Le Roy sur Challenges.fr
–  une interview vidéo de Joel Guillon, consultant et formateur chez MO2I
–  le livre Psychologie du manager de Patrick Amar, président d’Axis Mundi, aux éditions Dunod (notamment le chapitre 13 : « L’important, c’est d’être aimé… et de ne pas se faire remarquer »)
–  le livre Votre cerveau au bureau : mode d’emploi de David Rock chez Intereditions
–  le livre Jouer à fond vos points forts de Donald Clifton et Paula Nelson aux éditions Marabout
–  le livre S’épanouir de Martin Seligman, un des pères de la psychologie positive, aux éditions Belfond (notamment le chapitre 6 « Détermination, caractère et réussite : une nouvelle théorie de l’intelligence »)
–  le livre Comment votre swing peut améliorer votre management de Assaël Adary aux Editions du Palio

Cet article a été publié sur Challenges.fr le 14 avril 2013 sous le titre « Au travail, faut-il se faire remarquer ou ne pas sortir du moule? » disponible à l’adresse https://www.challenges.fr/emploi/au-travail-faut-il-se-faire-remarquer-ou-ne-pas-sortir-du-moule_9921