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S’arrêter pour décider

Quand tout semble s’accélérer, s’arrêter permet de décider avec lucidité de vos prochains pas.


Dans un monde où tout semble s’accélérer autour et à l’intérieur de vous, et plus particulièrement au moment de la « reprise », arrêtez-vous pour décider avec lucidité de vos prochains pas. Arrêtez-vous. Physiquement. Maintenant.

La « vision » offre une métaphore pleine de bon sens de la fonction « arrêt » du cerveau : l’exploration visuelle de notre monde est principalement fondée sur d’incessantes saccades, ces dernières étant de brefs mouvements des yeux – en moyenne 3 par seconde – entre deux positions stables ; elles amènent ainsi rapidement l’image d’un objet sur la fovéa, zone de la rétine où la vision des détails est la plus précise. Nous ne voyons clairement qu’à l’arrêt !

De plus, si la vitesse crée l’effet tunnel bien connu dans le monde automobile – vision de 100° à 40 km/h mais de 30° à 130km/h jusqu’à 10° au-delà -, s’arrêter permet de retrouver en un instant une vision à 180°, qui entrouvre immédiatement des possibilités créatives.

L’hyperactivité, une illusion

Si c’est tellement important, pourquoi les dirigeants ne s’arrêtent-ils pas ? Une piste à explorer est que dans l’inconscient collectif moderne, l’hyperactivité est souvent perçue comme une « performance » en soi, symbole de vie érigé au rang de norme. Ce mouvement permanent donne l’illusion au top- manager d’être un surhomme, mais le déconnecte de la réalité, tel un extraterrestre vivant sur la planète COMEX (comité exécutif). Dans ce monde artificiel, il est convaincu que « s’arrêter signifie disparaître ».

Confrontons cette réalité moderne à des comportements aussi efficaces que « primaires » : la décision instinctive de s’arrêter est au cœur des réactions animales face à une opportunité (pour les prédateurs tapis dans l’ombre) ou à un danger (le fameux « fight, flight or freeze » ; combattre, fuir ou s’immobiliser), constatées également par les chercheurs chez l’humain. Perdu dans une forêt ou dans la jungle urbaine, une stratégie éprouvée depuis des millénaires est de s’arrêter pour consulter la carte et reprendre ensuite son chemin, et non d’accélérer dans une direction aléatoire. Lorsque l’immobilité peut être considérée comme un signe de soumission liée à la domestication, le fait de s’arrêter est une démarche proactive intelligente et vitale pour les animaux libres dont nous sommes les descendants.

Au delà de la pause estivale et de la mindfulness (méditation de pleine conscience), s’arrêter peut prendre de nombreuses formes : s’immobiliser et garder le silence pour s’ancrer dans la réalité et prendre du recul, voire méditer sur un enjeu ; se tourner vers son interlocuteur pour qu’il se sente écouté et entendu, ici, maintenant ; proposer aux participants d’une réunion aussi stratégique que bloquée une pause de quelques minutes, comme une mi-temps salutaire après une première partie de jeu embourbée ; laisser une opportunité venir à nous en soulignant que vous êtes intéressé par la personne sans être pressé, ni dans l’attente de ce qu’elle peut vous apporter.

Regagner sa liberté

S’il n’y prend pas garde, le dirigeant devient prisonnier d’un mouvement subi avec des injonctions implicites : aller de l’avant, penser vite et bien, agir « intuitivement », avoir les réponses immédiatement… avant un voire plusieurs arrêts brutaux dans sa carrière. Car que se passe-t-il
lorsque tout s’arrête ? Perte d’emploi, accident de la vie, retraite … sont souvent associés à un profond sentiment de vide avec leur lot de dépressions, suicides et décès prématurés, confidentiel mais bien réel. Le dirigeant regagne sa liberté lorsqu’il prend conscience qu’il n’est pas ce mouvement, et donc qu’il peut ralentir, voire s’immobiliser, juste quelques instants, maintenant. Il goûte alors au plaisir d’être spectateur de la vie de son entreprise qui se déroule sous ses yeux, avec le recul et la perspective nécessaires à l’exercice de sa fonction autant qu’à son bien-être profond.
S’arrêter est au cœur de notre fonctionnement originel et optimal. S’arrêter en conscience permet dans le cadre d’une démarche active de se préparer aux aléas de sa vie tout en gagnant en lucidité et justesse pour agir. Ou pas.

Greg Le Roy


Pour aller plus loin :
– La réponse combat-fuite a été décrite pour la première fois par le psychologue américain Walter Bradford Cannon. Sa théorie est reconnue comme étant le premier stade du syndrome général d’adaptation régulant les réponses au stress parmi les vertébrés et autres organismes.
– Lorsque nous sommes dans un état émotionnel positif et créatif, notre vision accède à une portion plus large de l’environnement, comme si le champ visuel s’élargissait d’après T. Schmitz, Université de Toronto, Journal of Neuroscience, n°29 (22), 2009 (http://www.apa.org/science/about/psa/2009/07/sci-brief.aspx )
– découvrez dans le livre collectif sur le coaching bref « Faire réussir les acteurs clés de l’entreprise » (https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/faire-reussir-acteurs-cles-entreprise-avec-interventions- breves ) les chapitres de Sabine Henrichreise (dont le paragraphe sur le triple A – arrêter, abandonner, accueillir – est très riche) et de Hélène Blanchard (la « pause » est un élément fondamental des interventions orientées solutions).

Cet article a été publié le 23 septembre 2017 sur www.challenges.fr/emploi/management/conseil-de-coach-pourquoi-il-faut- savoir-faire-une-pause-et-s-arreter-au-bureau_501264