Carrières : chercheuses de génie, accès à l’emploi & égalité salariale (Atlas des Femmes, Le Monde & La Vie, 2021)
Le hors-série L’ATLAS DES FEMMES, publié par Le Monde et La Vie, a attiré mon attention par la qualité des articles, les signatures de nombreuses chercheuses et l’impact sur les carrières des femmes.
3 articles sont disponibles sur le site HEC Alumni à l’adresse suivante : https://hecstories.fr/fr/carrieres-chercheuses-de-genie-altasdesfemmes2021/
> « Ce génie féminin que la science occulte », pour désobéir à la « mise à l’écart au moyen âge » et remettre le désir de savoir, trouver et partager au coeur de la recherche française.
> « Pourquoi les femmes gagnent moins que les hommes », pour comprendre l’importance de l’orientation scolaire, le contexte global de la charge mentale dans la vie en société et comment accélérer les carrières des femmes qui le désirent.
> « L’horizon lointain de l’égalité face à l’emploi » pour saisir que « tout au long du XXème siècle, l’accès à l’emploi est au coeur du processus d’émancipation des femmes ».
Pour vous donner envie de tous les découvrir, je vous propose de lire le premier sur les chercheuses
CE GENIE DES FEMMES QUE LA SCIENCE OCCULTE
Auteure : Adeline Gargam, docteure en lettres modernes. Ancienne membre de la Société internationale pour l’étude des femmes de l’Ancien Régime.
La contribution des femmes à la science, domaine dont elles ont longtemps été exclues,
est largement sous-estimée. De tout temps, elles ont pourtant égalé les hommes, auxquels on a souvent attribué leurs découvertes. Mais cette réalité reste difficile à reconnaître.
« Est-ce qu’il a existé des femmes de science dans le passé ? La réponse est oui. On en trouve à toutes les époques depuis l’Antiquité. Marie Curie (1867-1934) a eu des devancières et des héritières, mais qui sont méconnues. L’histoire des sciences s’est construite de façon sélective en oubliant la plupart de celles qui ont œuvré dans ce domaine. Lorsqu’il s’agit, dans les annales, les dictionnaires, les manuels scolaires ou les livres d’histoire, de faire part des avancées ou des découvertes en sciences, ce sont toujours les hommes qui tiennent le haut du pavé, les femmes n’y occupent qu’une maigre place. Leur contribution est minimisée, même parfois contestée, voire déniée, alors qu’elles ont aussi joué un rôle à la fois dans la production et la transmission de la culture scientifique.
Une mise à l’écart au Moyen Âge
À l’époque antique, les femmes ne sont pas encore exclues des sciences, et celles qui y brillent sont même admirées. La célèbre Hypatie (v. 370-415) en témoigne. Philosophe, mathématicienne et astronome, elle est à la tête d’une école à Alexandrie, en égypte, où elle enseigne. Savante éminente, elle jouit d’un respect unanime et d’une notoriété importante dans la ville. Mais son intellect et son charisme influents gênent le pouvoir ecclésiastique : elle est sauvagement assassinée dans une église. Des femmes pratiquent aussi la médecine à l’époque impériale romaine (27 av. J.-C. - 476), puis elles sont écartées de son enseignement et de sa pratique dès le Moyen Âge et jusqu’au XIXe siècle, en France surtout, mais leur place en médecine est restreinte de façon générale en Europe. Celles qui tentent de la pratiquer sont aussitôt accusées d’exercice illégal, comme Jacoba Félicie à Paris, en 1322.
Au Moyen Âge, le domaine de la connaissance est un territoire d’hommes. Les femmes en sont tenues à distance pour des raisons à la fois sociales, culturelles et religieuses. Les clercs lisent encore la Genèse comme une malédiction d’Ève et considèrent le désir de savoir chez les femmes comme une désobéissance à un ordre divin. Par ailleurs, l’université, régie par l’Église, se développe en Europe en tant que sanctuaire masculin, excluant durablement les femmes. Durant cette période, les couvents et les monastères deviennent les seuls lieux où celles-ci peuvent s’instruire, exercer la médecine et pratiquer les sciences. L’Italienne Trotula de Salerne (?-1097) en est une belle illustration. Cette médecin et chirurgienne écrit plusieurs livres traitant de la santé des femmes. L’un d’entre eux devient l’ouvrage de référence en matière de gynécologie et est traduit en plusieurs langues. Mais ses contemporains contestent qu’elle en est l’auteure parce que c’est une femme ! À la tête d’un monastère, Hildegarde de Bingen (1098-1179) est une religieuse allemande au génie exceptionnel mais dont l’œuvre immense, en dépit de sa valeur, a longtemps été oubliée. Musicienne, botaniste et guérisseuse, elle est l’auteure de deux ouvrages médicaux qui constituent une véritable encyclopédie des connaissances du temps et sont encore utilisés aujourd’hui.
En France, sous l’Ancien Régime, le savoir n’est plus uniquement dispensé dans les universités : il se développe dans les salons, les amphithéâtres et les cabinets, ce qui permet aux femmes des milieux éclairés de s’instruire et de pratiquer les sciences, parfois à un haut niveau de compétence. De l’anatomiste Marie-Marguerite Biheron (1719-1795) à la chimiste Marie-Anne Lavoisier (1758-1836), en passant par l’astronome Nicole-Reine Lepaute (1723-1788), les femmes traduisent des ouvrages scientifiques, s’adonnent à des calculs, conduisent des expériences, enseignent publiquement les sciences et collaborent avec des savants ; mais leurs travaux sont restés bien souvent anonymes ou dans l’ombre des hommes, ou encore portés au crédit de leur entourage masculin. Aujourd’hui, l’importance d’Émilie du Châtelet (1706-1749) ne peut plus être contestée, tant comme physicienne que comme principale traductrice du siècle des Lumières. Sa traduction commentée de Newton est toujours utilisée. Pourtant, ses contemporains ont souvent attribué ses livres à des savants masculins et vu en Voltaire, son compagnon, l’inspirateur de ses activités scientifiques, alors que c’était l’inverse. À cause de préjugés sexistes, il est en effet difficile d’admettre à cette époque qu’une femme puisse entrer en parité dans la compétence scientifique, et plus encore qu’elle puisse surpasser l’homme.
Un gros déficit de reconnaissance
Au XIXe siècle, il n’est pas plus simple d’être une femme dans la communauté scientifique. De l’astronome allemande Caroline Herschel (1750-1848) à la naturaliste française Jeanne Villepreux-Power (1794-1871), en passant par la chimiste suédoise Anna Sundström (1785-1871), quelques femmes font pourtant avancer leur discipline, malgré l’antiféminisme ambiant de l’Europe napoléonienne, qui les juge inaptes aux sciences, les exclut des grandes écoles, et dénie leur contribution. L’exemple de l’Américaine Nettie Stevens (1861-1912) le démontre. Ses recherches expérimentales, conduites en collaboration, ont abouti à l’une des découvertes scientifiques majeures du XXe siècle, celle du chromosome Y, et ouvert la voie à des progrès considérables dans le domaine de la génétique. Ce n’est pourtant pas son nom qui est associé à cette avancée, mais celui de ses collaborateurs masculins. Éclipsée par ces derniers, elle n’a jamais reçu la reconnaissance qu’elle méritait.
Aujourd’hui, l’accès des femmes aux études et à la pratique scientifique semble un fait acquis, même s’il demeure minoritaire. Cependant, les chercheuses se voient encore évincées des remises de prix : les Nobel ne leur sont que partiellement attribués. De la physicienne autrichienne Lise Meitner, qui théorise la fission nucléaire en 1939, à la biologiste britannique Rosalind Franklin, qui établit la preuve de la structure en double hélice de l’ADN en 1953, en passant par l’astronome britannique Jocelyn Bell, qui met en évidence le premier pulsar en 1967, bien des femmes de sciences n’accèdent à la reconnaissance qui leur est due que des années après leurs découvertes. Et elles restent perçues plutôt comme des exceptions que comme des modèles. »